LETTRE A ALBERT CAMUS
On guillotine toujours à loisir quelque part c’est ce qui me pousse à vous écrire.
Je fus comme vous –et je vous cite- « placé à mi-distance de la misère et du soleil ». Je ne peux donc résister à la tentation de vous raconter notre époque qui est à la fois semblable et tellement différente de la vôtre ce qui n’est pas le moindre de ses paradoxes.
Nous, nous ne sommes pas seulement la rue parce que les trottoirs, les tours et les cages d’escaliers portent encore l’empreinte de nos baskets blanches.
Évidemment nous sommes plus que ça mais j’aurai tout le temps de m’en expliquer et de connecter ma parcelle d’humanité aux cœurs de toutes les bonnes âmes qui voudront bien m’écouter.
Pour notre part le monde n’est pas un accident et s’en faire le rappel constant est un acte sacré pour nous autres fous qui avons décider de fouler le chemin du dedans.
Un évènement s’est joué quelque part dans l’enfance un sacrifice rituel sauf que c’est soi-même ou celui qu’on croit être soi qu’on dépose ou pas sur l’autel.
Chacun doit veiller sur son cœur fleur de la patrie sur laquelle il fleurit justement rejeter tout ce qui est malsain en soi et tenter de s’ouvrir à toutes les grâces du destin.
Il arrive quelques fois qu’un drame individuel soit la force inspiratrice d’un élan collectif c’est ce qui nous est arrivé à Majid et moi lorsque nous avons décidé de ne plus vendre de shit.
Une certaine forme de pudeur me pousse ici à rester allusif mais vous aurez compris qu’il s’agit toujours de respecter la mémoire de ceux parmi nous qui sont partis trop vite.
Fidèle aux cités HLM voyez-vous jusqu’après la mort être la parole de mon milieu sans jamais être une victime (ni un bourreau) que leur injustice pousse aux extrêmes toute proportion gardé Abd Al Malik comme votre écho Albert Camus.
Rien n’est en dehors du vécu et ceux qui parlent ou écrivent sur nous auront beau parler ou écrire sur nous ils ne comprendront rien tant qu’ils n’auront pas vu la mort de notre point de vue.
C’est le moment d’être un homme de cœur et de raison puisque la mort a été notre passion d’adolescent c’est le moment de l’héroïsme ou de la destruction.
J’ai fait mon choix quand le besoin de Paix est devenu semblable au besoin d’assistance qu’éprouve une personne en train de se noyer et qui appelle désespérément à l’aide.
Vous avez donc en moi fait la paix avec Sartre comme Jay-Z l’a fait avec Nas.
Et si je refuse malgré tout absolument d’être un rescapé c’est que je suis un ressuscité car il faut comme Sartre ,donc, écrivant sur Genet parler de résurrection et de rite initiatique.
Mais celui qui essaie de trouver un chemin exclusivement grâce aux idéologies du passé ne fait que suivre des ombres en tunique seul le Vivant détient la clé initiatique.
L’état spirituel est la manifestation de l’attirance des corps vers l’Esprit la preuve de la constance du mouvement vers le haut de gens comme moi que certains ne supportent qu’en bas.
Ce n’est pas qu’une question d’égalité ou de droit c’est une question de vie ou de mort sur des êtres qui s’ils sont exécutés n’auront pas nécessairement conscience de leur mal et continueront à subir de plus bel.
Accepteront de s’enfoncer dans cet élan mortifère convaincu d’être vivant parce que toujours s’érigeant contre l’autre et finalement contre soi.
Et voilà donc ce qu’on fait de nous autres on nous mesure on nous évalue on nous pèse on fait de nous des chiffres sans âmes sans existences réelles hors de l’équation médiatique.
C’est le paradoxe de celui qui est sensé nous secourir alors qu’il ne peut se sauver lui-même c’est le ridicule de celui qui a la clé et qui s’est enfermé lui-même.
Mais l’ouverture est le dévoilement soudain de la Réalité et donc la fin de l’illusion c’est comme une boule de neige qu’on aurait jetté dans l’océan.
L’ego n’a qu’une existence éphémère et illusoire si on le considère en lui-même coupé de son origine de même le peuple hétéroclite s’harmonise une fois réinventé le collectif.
Voici donc venu le temps de nommer justement les choses. Voici donc venu le temps des mots réparateurs ceux qui disent le contraire de ce qui se murmurait parce qu’on portait des Nike Air et qu’on parlait à l’envers.
On guillotine toujours à loisir quelque part c’est ce qui me pousse à vous écrire.
Je fus comme vous –et je vous cite- « placé à mi-distance de la misère et du soleil ».