LA PETITE FILLE AU PIANO
J’ai de longs cheveux dans le dos
Mi mi mi sol fa mi ré do
Et dans ma robe de percale blanche
Chaque jour, y compris dimanche,
Je vous charme d’un andantino
Mi mi mi sol fa mi ré do
Pour préparer l’conservatoire
Maman fait mander tous les soirs
De vieux messieurs habilités
À v’nir vérifier mon doigté
Sur moi, ils ne posent pas leurs pattes
Maman l’interdit mais constate
Qu’eux partis un machin collant
Scintille au creux de mes rubans
Mais elle pardonne tous leurs fantasmes
À ces vieux cochons secoués d’asthme
Pour que j’entre à l’Académie
Sol sol sol fa sol fa sol mi
Faudrait se lever un peu tôt
Pour stopper mes petits marteaux
Et pour m’écarter de ces touches
Qu’avec des airs de Sainte-Nitouche
Je flatte d’un diminuendo
Mi ré mi sol fa mi ré do
Car, sachez-le, pauvres lourdauds
Sous mes longs cheveux dans le dos
Je suis une authentique teigne,
Teigne comme l’était Rubinstein
Pour remporter le prix Cortot
J’ai joué comme on joue du couteau
Et pour épater les clampins
J’suis prête à massacrer Chopin
Étant bien sûr considéré
Sol sol sol mi sol do sol ré
Qu’on m’pardonne, tout comme dit maman,
À cause de mon tempérament
On me décerne le titre envié
De petite bûcheronne du clavier
Mais je me fous bien des remarques
Des puristes et des aristarques
Moi, j’ai mes aficionados
Mi mi mi sol sol sol sol dosse
Je jouerai au sein des combats
Kamikaze sur mon Yamaha
Je jouerai pour vos faux prophètes
Et je jouerai pour vos défaites
Je jouerai pour vos dictateurs
Je jouerai quand vous aurez peur
Car on a b’soin de virtuoses
À l’heure où la bombe H explose
Et, déchaînant mes sentiments,
Je jouerai pour vos enterrements
Vous qu’une petite salope bluffa
Mi ré mi fa fa fa fa fa
Ah ! Prenez bien garde au piano
Et aux longs cheveux dans le dos
Prenez bien garde aux robes blanches
Qui, la semaine et le dimanche,
Vous charment d´un andantino
Mi mi mi sol fa mi ré do
Mi mi mi sol fa mi ré do
Mi mi mi sol fa mi ré do