Ballade d'un sans-abri
J’avais dix ans lorsque mon père
Nous a laissés
La vie, c’est une forêt d’misère
À traverser
Mon frère est parti, militaire
Ma soeur est entrée au couvent
À la p’tite voile, faut toujours faire
Avec le vent
Des cours du soir, une bonne mémoire
J’passe les détails
J’suis devenu un prof d’histoire
Un vrai travail
Un beau matin, un jeune tout croche
Que mes remarques avaient fâché
A sorti un couteau d’sa poche
J’ai décroché
J’étais marié, mais mon divorce
A pas tardé
La Cour, c’était au-d’ssus d’mes forces
J’ai rien gardé
Pus d’char, pus d’heure, pus d’comptes à rendre
Pus d’examens, pus rien d’côté
T’es dans la rue, tu viens d’apprendre
La liberté
Jos, c’est mon chien, un soir d’automne
I’ m’a suivi
Quand on n’a rien, on vaut c’qu’on donne
Je l’ai nourri
Chien sans collier, clochard sans laisse
On se r’ssemblait, on s’est r’connus
Deux purs bâtards de haute noblesse
Le coeur tout nu
J’l’ai appelé Jos parce que mon frère
S’appelait comme ça
Marcher au pas, c’est une carrière
Que j’aimais pas
Pis y a des choses qu’les chiens comprennent
Mieux et plus vite que les humains
La liberté, l’amour, la haine
Et le destin
Jos a les yeux d’son ascendance
Un bleu, un noir
J’lui dis souvent: «T’as ben d’la chance
Ça t’permet d’voir
Un d’tes pareils dans un bouledogue
Et les deux côtés d’un miroir
Et dans les paradis d’la drogue:
Le désespoir»
Dans les églises, dans les refuges
I’ prennent pas d’chiens
J’comprends, ça f ’rait tout un grabuge
Chacun le sien
Ça fait qu’on s’couche toujours ensemble
Dans les poubelles d’la société
Des fois on dort, des fois on tremble
Même en été
Comprends-moi bien, j’accuse personne
J’connais mes torts
J’deviens doucement un autochtone
Dans ton décor
Dans les journaux dont je m’isole
Je lis souvent le triste sort
Des pays où l’argent rigole
Avec la mort
J’ai soixante ans, des fois je rêve
Que j’viens d’trouver
Une p’tite cabane su’ l’bord d’une grève
Pis qu’c’est l’été
J’aimerais bien qu’mon histoire finisse
Un peu mieux qu’elle a commencé
J’attendrai pas que la police
Vienne nous pincer
La terre est une manufacture
De sans-abri
J’en vois une gang sur la clôture
Qui m’ont compris
Chaque fois qu’tu changes de frigidaire
Tu viens d’me construire un logis
Jette pas la boîte, y a des affaires
Qui n’ont pas d’prix
La ville, c’est rien qu’un grand village
Exproprié
Ça tolère pas dans l’engrenage
Un sablier
Y a pas eu d’chant ni les grandes orgues
Mais par un trente en bas d’zéro
On l’a trouvé, prêt pour la morgue
Comme son chien Jos