La soularde

On n'lui connaît aucun parent
A Clichy pour cent francs par an
Elle couche par terre dans une mansarde,
La soûlarde.

Dès la matin on peut la voir
Sur le pavé, sur le trottoir
Cheminer, la mine hagarde,
La soûlarde.

Un ancien châle à même la peau
Coiffée d'travers d'un vieux chapeau
En marchant, toute seule elle bavarde,
La soûlarde.

Les mastroquets, les rigolos
Sur le seuil de leur caboulot
Se disent "Ah ! Quelle sale tocarde,
La soûlarde !"

Bien égarée, cherchant son trou
Allant souvent sans savoir où
Loin d'la barrière elle se hasarde,
La soûlarde.

Un tas de gamins l'entourant
Criant, chantant, sautant, courant,
Et portent, ainsi qu'une garde,
La soûlarde.

Mais elle, indifférente à tout,
Va devant elle n'importe où
Alors de cailloux, on bombarde
La soûlarde.

Sensible à ce brutal affront
Du sang lui coulant sur le front
Elle se retourne et regarde,
La soûlarde.

Tous interrompant leur lazzis
Ayant le cœur d'effroi saisi
Devant les regards que leur darde
La soûlarde.

Au milieu des passants surpris
Baladant d'ces cheveux gris
Pour sûr, elle est vraiment tocarde,
La soûlarde.

Pourtant, ouvrier ou gamin,
Laisse-la passer son chemin !
Qui sait le noir souci que garde
La soûlarde ?

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